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 La mauvaise éducation

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celine
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celine
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   Posté le 19-05-2004 à 17:06:54   Voir le profil de celine (Offline)   Répondre à ce message   http://www.serge-lutens.com   Envoyer un message privé à celine   

Le générique d'introduction, collage très graphique d'images pieuses et de grafitis lubriques dans des tons dominants de rouge et noir, annonce la couleur du nouveau film d'Almodovar : "La mauvaise éducation", à l'image de cette ouverture, est un assemblage virtuose de plusieurs récits imbriqués les uns dans les autres, sur fond de rouge (rouge sang, rouge passion, rouge de l'Eglise) et noir (noir de l'habit des prêtres, noirceur de l'intrigue.)

Dans une construction gigogne très maîtrisée, entre passé et présent, fiction et réalité, Almodovar raconte, sur trois décennies, le destin de trois hommes.
Au début des années 80, Enrique, réalisateur de films, reçoit la visite d'un jeune homme qui prétend être son ancien ami d'école - et premier amour : Ignacio. Seize ans auparavant, les deux enfants s'étaient rencontrés sur les bancs d'une école religieuse et avaient été séparés par la jalousie du Père Manolo, prêtre pédophile, amoureux fou du jeune Ignacio. Ce dernier, devenu acteur, présente à Enrique une nouvelle, inspirée de leur enfance, qu'il souhaiterait voir portée à l'écran et dans lequel il espère jouer le rôle principal. Peu à peu, Enrique commence à douter : cet Ignacio est-il vraiment l'Ignacio de son enfance ?

Après nous avoir éblouis avec "Tout sur ma mère" et bouleversés (et/ou dérangés) avec "Parle avec elle", Pedro Almodovar nous déroute avec un film d'une violence, tant physique que psychologique, très sombre.

La réalisation, soutenue par la musique (toujours) sublime de Alberto Iglesias, est d'une remarquable beauté et certaines scènes restent gravées dans les mémoires : une journée ensoleillée à la campagne ; des enfants jouent dans l'eau tandis qu'à l'écart, un prêtre au bord des larmes, accompagne à la guitare un tout jeune garçon à la voix d'ange. Plan sur le paysage, d'un calme paisible ; la voix continue à chanter, de ce timbre pur et clair, mais la guitare s'est arrêtée. Et le prêtre et l'enfant ont disparu de l'écran.
La partie fictionnelle (hélas trop courte) relatant la vie à l'école, les premiers émois amoureux et la terreur du désir de l'adulte, est la plus réussie : la pédophilie y est montrée avec pudeur (la scène où Ignacio ôte les vêtements de cérémonies du Père Manolo) et subtilité. Le danger est partout. Dans la nuit froide des dortoirs, le prêtre concupiscent apparaît tel un prédateur terrifiant, au milieu de rangées de lits blancs évoquant un cimetière.
Daniel Gimenez Cacho incarne avec talent cet homme rongé par un désir impur.
L'ensemble du casting est impeccable, à commencer par Gael Garcia Bernal, impressionnant de justesse dans un rôle à multiples facettes.

Le labyrinthe narratif dans lequel nous mène Almodovar ne fait qu'accentuer l'habileté diabolique du cinéaste, tant le scénario demeure limpide. Almodovar a atteint son sommet esthétique avec ce film d'une indéniable beauté plastique.
Pourtant, bien que le film soit dirigé, réalisé et monté parfaitement, il déçoit quelque peu.

A trop vouloir mélanger les genres et les thèmes et en privilégiant le côté thriller de l'intrigue, Almodovar semble s'être éloigné de son sujet.
L'institution catholique et son hypocrisie sont certes montrées du doigt, mais ce qu'a vécu Ignacio explique-t-il entièrement ce qu'il devient par la suite ?
Le personnage d'Ignacio est trop extrême pour que l'on accepte entièrement le lien direct de cause à effet entre son enfance et l'âge adulte. D'autre part, la conclusion, qui a le mérite de surprendre, remet en cause ce qui précède et déplace le centre de gravité vers un nouveau personnage ; du coup le titre ne s'accorde pas à l'ensemble du propos du film, qui dépasse largement le thème de la pédophilie.
Il s'agit plus, finalement, d'une histoire de relations (homosexuelles)
ambiguës, faites de rapacité sexuelle (le sexe est très présent et de façon crue) et de rapports de manipulation et de domination destructeurs.

Si l'on retrouve, dans sa façon de filmer et de diriger ses acteurs, la sincérité et la sensibilité des précédentes oeuvres d'Almodovar, on ne ressent en revanche aucune sympathie pour les protagonistes de cette histoire. Malgré ses couleurs flamboyantes, le film est froid et sec. Les pointes d'humour ne masquent pas l'absence de tendresse habituelle du cinéaste envers ses personnages. Ceux de "La mauvaise éducation" demeurent, jusqu'à la fin, complexes voire désespérement impénétrables. C'est sans doute ce refus d'explication, ce flou dans leurs motivations (notamment le personnage central) qui rend ce film à la fois énigmatique, fascinant et frustrant.
Brillant, plastiquement irréprochable mais trop dense pour complètement satisfaire.


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   Posté le 19-05-2004 à 17:43:11   Voir le profil de Cuauhtli (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Cuauhtli   

Dès le jour de sa sortie j'ai foncé voir ce film: pour des raisons de cinéphilie, de curiosité, de langue etc. je ne rate aucun des films d'Almodovar, et de plus le dernier ("Parle avec elle" ) m'avait bouleversée.

Cette fois-ci j'ai été très déçue: je n'ajoute rien au commentaire de Céline qui est parfait, très détaillé, et dans lequel je retrouve exactement mes réserves: absence de sympathie pour tous les personnages, construction alambiquée qui fait que l'attention ne se focalise pas bien sur le sujet central etc. De plus, la "patte" Almodovar (crudité des propos, couleurs violentes, musique latino-américaine des années 60 - ici encore un boléro mexicain: "Quizas, quizas"-, travestis, fausses audaces etc.) commence à devenir répétitive et systématique.

Alors, rien à sauver dans ce film?

Deux choses: d'abord, Almodovar a du talent; quand il n'essaie pas de provoquer gratuitement, il SAIT filmer le désir, le malaise de l'autre, le trouble: la scène des deux garçons à la piscine est très réussie.


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Cuauhtli

"La terre n'a qu'un soleil" (Proverbe touareg)
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   Posté le 19-05-2004 à 17:44:11   Voir le profil de Cuauhtli (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à Cuauhtli   

(suite du message précédent: j'ai des problèmes informatiques, et suis obligée de fractionner les textes longs)

Et puis, SURTOUT!, il y a le petit (il est jeune, et pas très grand) Gael Garcia Bernal, avec son joli sourire et son doux regard doré de biche craquante. Malgré l'horrible accent espagnol dont on l'a affligé pour la circonstance - vous aurez deviné à mon enthousiasme qu'il est mexicain - il reste le merveilleux acteur révélé par "Amours chiennes" (un chef d'oeuvre: qui l'a vu?) et d'autres films mexicains récents. Comédien absolument multiple: parfois d'une sensualité torride et parfois invisible et passe-partout; splendide et repoussant, aussi étonnant en homme qu'en femme...

Pour lui, allez voir le film: vous ne le regretterez pas.


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Cuauhtli

"La terre n'a qu'un soleil" (Proverbe touareg)
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   Posté le 20-05-2004 à 09:06:35   Voir le profil de shemale babe (Offline)   Répondre à ce message   Envoyer un message privé à shemale babe   

J 'y crois pas ! j 'adore les films d 'Almodovar bien sur, et a tous les coups ce film ne passera pas a New York avant l 'annee prochaine ce qui etait le cas avec Talk to Her (dans une ou deux malheureuses salles).
Je regrette cependant que les transexuelles/travestis/shemales dans les films de Almodovar sont trop stereotypees et masculines, plus ou moins que des mecs en jupes courtes, talons aiguilles et maquillage outrancier...mais bon.
Ici a New York la plupart des transexuelles sont hormonees avant/pendant la puberte et sont extrement "passable", feminines et tres "next door all american girl".
celine
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celine
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   Posté le 21-05-2004 à 18:22:29   Voir le profil de celine (Offline)   Répondre à ce message   http://www.serge-lutens.com   Envoyer un message privé à celine   

A mon avis, la vision que donne Almodovar dans son dernier film est SUPER caricaturée !!! Entre le mec à perruque efféminé qui chante dans des cabarets folklo et le transexuel sordide complètement shooté, en cours de mutation et les seins à moitié à l'air, il y a peu de place pour une homosexualité *saine* (si je puis me permettre l'expression)... C'est même un peu dégoûtant, à force !
Mais il est vrai que GGB est une véritable découverte (on dirait une Julia Roberts trapue en femme !!! :p), aussi crédible en jeune homme dégoulinant de virilité qu'en travesti femme sensuel... Mais mon préféré reste l'acteur qui joue le Père Manolo (on dirait presque une victime - c'en est d'ailleurs gênant, pasque bon, le petit Ignacio, il le subit quand même malgré lui, le père Manolo) - et l'autre acteur, qui jour Enrique, est très séduisant aussi...
Mais les travestis n'attirent pas la sympathie (contrairement à ceux de "Tout sur ma Mère" qui reste, pour moi, le chef d'oeuvre de Pedro)
Voilà-voilà.


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