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|  Posté le 15-10-2004 à 20:06:12    
| Serge Lutens
Un homme au parfum
Cet enfant du Nord, responsable de l'image de Dior et de Shiseido, est le meilleur nez de son temps. Toujours en quête de plus de «beauté intérieure»
Un homme de sens, Lutens. Longtemps homme de vue, il avait façonné, par ses inoubliables icônes au teint de kaolin et à la silhouette byzantine, l'image de Dior et de Shiseido. Puis l'oeil s'est fait nez, l'esthète, alchimiste, et ses mirages, philtres. Celui que l'on tient pour un des parfumeurs les plus doués, célèbre, par un nouveau jus d'auteur nommé Vétiver oriental, les dix ans des Salons du Palais-Royal, précieux écrin pour sa collection de senteurs rares. Et obtient, pour la deuxième année consécutive, la plus prestigieuse des récompenses dans l'univers parfumé, le Fifi Award.
L'odorat professionnel s'est révélé sur le tard chez cet enfant du Nord. Il avait rangé dans sa mémoire «les effluves d'encens des églises de Lille, de pain d'épice de l'usine voisine, des peaux de mandarines jetées sur le feu, des boules de sureau confit». Mais c'est dans le Sud marocain que ses narines s'éveillent à tous les parfums d'Arabie. A Marrakech, il respire les échoppes du souk, les fleurs de la palmeraie. Collecte des copeaux d'écorce, des morceaux de résine, des chutes de cuir, des poudres d'épices... fragments odorants et émotions olfactives qui déclenchent chez lui des résonances bien plus lointaines.
«Les Marocains ont le parfum dans le sang.» Et c'est bien de «retour au sang» et d'«origines mauresques» qu'il s'agit. Il a beau plaquer ses cheveux et y tracer une raie de force, il a toujours «cet air de moricaud» qui réapparaît inopinément dans sa famille au fil des générations. Les Flandres n'ont-elles pas été longtemps andalouses? Le dandy des brumes toujours de noir vêtu part à la recherche du sens perdu et d'une histoire immergée au plus profond de ses gènes.
Les odeurs des origines en «réserve mentale», il se voit proposer par Shiseido de créer un parfum. Ce sera en 1982 Nombre Noir, suivi en 1992 d'une réussite inédite, Féminité du Bois, qui inaugure un sillage d'une vingtaine d'essences aux textures olfactives inconnues. Elixirs fastueux et subtils, effluves envoûtants et racés. Un genre olfactif aussi bien féminin que masculin. «Une même fragrance s'imprègne du caractère de celle ou de celui qui la porte. La séparation par sexe est une invention du marketing.» Le monde des senteurs, accoutumé à la segmentation des cibles, n'en croit pas son nez. Lutens persiste et signe une parfumerie hors norme.
Tout comme l'ont été ses images. Enfant, il esquisse les contours de son idéal féminin sur des bouchons de champagne qu'il peint et pare de pétales et de cendres. Adolescent, il immortalise sur son Kodak Instamatic ses amies lilloises coiffées et maquillées par ses soins. A Paris, dans les studios de «Vogue» du temps d'Edmonde Charles-Roux, il participe à la mise en beauté de Twiggy et de Shrimpton, de Veruschka et de Marisa Berenson photographiées par Penn, Avedon, Bailey... Il a la prescience des fards et des lumières. Chez Dior, de 1968 à 1980, et chez Shiseido depuis, ce faiseur d'images inaugure un nouveau métier, «créateur de couleurs», et signe la renommée des deux marques de cosmétiques. La réalisation des visuels le transporte. «Je suis en état d'apesanteur. D'exaltation, d'extase.»
Ce n'est que pour les prises de vue qu'il s'autorise à écouter de la musique. Le Requiem de Mozart, mais aussi «Ne me quitte pas», «Dis, quand reviendras-tu? », «Il pleut sur Nantes»µ Désespéré, Lutens? «Ça me fait mourir de rire en vous le disant!» L'ouïe est au centre de sa création. D'abord l'émotion olfactive, puis les mots pour la dire aux techniciens qui dans les laboratoires la traduiront en notes, gammes, symphonies de senteurs. Ambre Sultan, Rose de Nuit, Datura noir, Tubéreuse criminelleµ le nom de chaque parfum est une musique nocturne. Iris Silver Mist chante Simonetta Vespucci la Florentine. Muscs Koublaï Khan évoque le «Livre des merveilles» de Marco Polo. Santal de Mysore conte la légende d'Alexandre le Grand. La Myrrhe pleure les larmes incestueuses de la princesse Myrrha.
Ses narrations olfactives charment aussi les papilles. Douce Amère est le premier parfum à l'absinthe, le chiba arabe qu'on ajoute au thé à la menthe. Rahat Loukoum signifie «caresse du palais». «L'idée d'absorber des substances odorantes pour que le corps devienne usine à parfums me passionne.» La recherche cosmétique ne s'oriente-t-elle pas vers la « beauté intérieure » ? Un homme de goût, Lutens. Qui a des «dégoûts très sûrs».
Ce singulier touche-à-tout serait-il réfractaire au toucher? Ses créatures glacées aux paupières closes et aux paumes ouvertes sont intouchables. Comme son épouse trop tôt disparue. Comme sa mère trop absente, dont il ne pouvait caresser que sa robe de mariée en crêpe noir brodé de jais. «Je fabrique ce que je n'arrive pas à saisir.» Cette «femme qui n'est que beauté», il a trop «peur de l'abîmer». A l'image de son palais hispano-mauresque dans la médina de Marrakech qu'il n'en finit pas de restaurer. «La recherche de la perfection me poursuit. Et toute perfection est un chemin vers la mort.» Triste à pleurer, Lutens? Pas le moins du monde. «Je ne pleure plus, rit-il. Ma glande lacrymale est morte.» M. R.
Ses dates
1942: naissance à Lille
1968: Christian Dior lui confie le département beauté
1980: Shiseido le charge de son image internationale
1982: premier parfum
1992: ouverture des Salons du Palais-Royal Shiseido.
Une rubrique dirigée par Jean-Gabriel fredet et christine deymard
Mariella Righini
Nouvel Observateur n° 1971 (15/8/2002)
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Wer, wenn ich schrie, hörte mich denn aus der Engel Ordnungen? - R.M. RILKE
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